EndorphinMag : mag des sports nature 100% gratuit en un CLIC

Les articles du Mag

Echappée Belle 2017 M-3

le 27.04.2017 par EndorphinmagPartager
Endorphinmag
Echappée Belle

Echappée Belle 2016 : Retour d'expérience

 

Vendredi 26 Aout 2016 - Parc du château de Vizille – 5:30 AM

 

Plus qu’une demi-heure à attendre avant de se lancer dans cette redoutée Traversée de Belledonne intégrale. On en rêve depuis des mois. On se prépare au mieux, jour après jour avec cet objectif qui brille comme une lumière dans la nuit. Parfois c’est l’euphorie, plus souvent le doute. Les périodes de blessures sont plus fréquentes que les périodes de grande forme. Alors évidemment on se dit que le programme choisi risque d’être un peu trop copieux. Tant pis, le moment n’est plus au doute. On fait le vide dans sa tête. On n’a même pas froid sur la ligne de départ – mauvais signe, on risque de cuire dans quelques heures. On est presque 500 à piaffer d’impatience. Et pourtant on est seul : chacun dans sa bulle, face à la montagne. Au propre comme au figuré. La pression monte peu à peu, on essaye de s’ancrer dans le crane nos bonnes résolutions : ne pas partir trop vite, gérer l’effort, soigner son alimentation sans oublier l’hydratation.

 

06:00 et des poussières. Le départ est donné. On quitte la douceur rassurante de l’aire de départ pour plonger dans l’obscurité moite de cette fin Aout. Au bout de quelques minutes on attaque enfin la première ascension qui nous fera passer du plancher des vaches aux cimes minérales tant convoitées. On transpire déjà à grosses gouttes. Le cardio est déjà au-delà des limites qu’on s’était fixées. Tout est normal donc.

 

La première partie du parcours, disons jusqu’à L’Arselle (kilomètre 17), pourrait être qualifiée de « très belle » sur un trail classique mais sur l’EB ce n’est qu’un hors d’œuvre que l’on est bien obligé d’ingurgiter avant de passer au plat de résistance qui comblera nos papilles. A l’Arselle, premier arrêt ravito. On refait le plein des gourdes. On en profite pour échanger quelques mots avec les bénévoles qui sont aux petits soins pour nous. La journée sera longue aussi pour eux. Il fait beau. Très beau ; Trop beau ? Trop chaud en tout cas mais le parcours ne redescend pas beaucoup en dessous de 2000 m on ne devrait donc pas être trop gêné par cette canicule qui débarque sans prévenir après un été plutôt frais.

 

La suite du parcours nous emmène vers le refuge de la Pra. Dès la sortie du ravitaillement le paysage change, on est à proximité de la station de Chamrousse mais l’itinéraire est malin et nous donne l’impression d’être en plein wilderness. Le sentier est magnifique. On zigzague entre les pins, c’est technique mais jamais scabreux. L’intelligence des pieds est mise à rude épreuve. Il faut être concentré et trouver le bon rythme de progression : aller le plus vite possible tout en s’économisant pour aller le plus loin possible ; si possible jusqu’au bout. On court un peu. On marche souvent. Les bâtons sont d’une aide précieuse. Surtout ils rassurent.Un coup d’œil un peu trop rapide à la carte aurait pu nous faire penser que cette partie de l’itinéraire était relativement plate. Sur le terrain, on comprend vite qu’il n’en est rien. On monte, on descend. Parfois de façon abrupte, la concentration est de mise et mettre les mains s’avère parfois nécessaire.

 

Le Lac David est très beau dans la lumière du matin. Il permet d’oublier un instant les jambes qui se font lourdes et les premières douleurs. On le longe peu avant d’arriver au refuge de la Pra. Le compteur indique 28 kilomètres. Pas mal mais il en reste encore un sacré paquet.

 

On prend son temps à La Pra. Le cadre est enchanteur, l’ambiance agréable. Il faut se botter les fesses pour repartir à l’assaut de la suite du programme. Le verrou des Doménon est à l’image de ce parcours : c’est raide et le sentier laisse la place à une suite de gros rochers qu’il faut négocier au mieux. Heureusement le balisage est parfait et nous guide dans ce labyrinthe minéral. Après ce passage technique, le  passage près des lacs des Doménon est le bienvenu. On y gagne aussi un peu de fraicheur ce qui est bien utile à cette heure de la journée. Le soleil tape fort. Pourtant il faut garder des ressources pour atteindre le point culminant de l’épreuve : la Croix de Belledonne. Le paysage se fait lunaire, la pente encore plus forte mais on n’y prête guerre attention tant l’ambiance est magique. C’est dur, certes, mais le plaisir d’atteindre le culmen de la course nous récompense de nos efforts. L’émotion est réelle. Les larmes ne sont pas loin. On en oublie même que l’on ne fait qu’un aller-retour à cette croix ; Le parcours est en effet astucieux et à part une très courte section commune on a vraiment l’impression d’une continuité logique dans notre traversée.

 

Après ce grand moment, la suite pourrait paraitre fade. Il n’en est rien. On continue à en prendre plein les yeux. L’infarctus de la rétine n’est pas loin. Le glacier de Freydane se niche sous le Grand Pic. Il est en pleine agonie mais n’en reste pas moins un témoin d’un récent passé ou l’homme n’avait pas encore déglingué le climat.

 

echappée belle 2016

 

La descente vers le Lac Blanc est ludique. On se cale dans les pas du coureur qui nous précède. Il suffit alors de débrancher le cerveau et de se laisser guider vers le bas de la pente. La journée est déjà bien avancée quand on arrive au refuge Jean Collet. L’arrêt est court. Le temps d’une soupe rapide, de quelques mots échangés avec d’autres coureurs ou des amis et on essaye de rester sur une bonne dynamique. On a surtout peur de prendre gout à tout ce confort et de ne jamais repartir. Pourtant il faut se lancer à l’assaut du Col de la Minne De fer ; Ca passe comme une lettre à la poste. On est bien chaud sans être complètement cramé. Pourvu que ça dure encore longtemps. Le plus longtemps possible.

 

Après la Brèche de la Roche Fendue on aimerait plonger directement sur le pas de la Coche et le prochain ravito. Le parcours n’est pas de cet avis. Il préfère alterner les montées, les descentes. Il hésite, tournicote, joue avec nos nerfs. Entre concurrents, on essaye de se rassurer : « Tu crois que c’est loin encore ? » , « Non, pas trop ». Tu parles que c’est loin, c’est même carrément au bout du monde. D’espoir en déception on fini quand même par débarouler sur le Habert d’Aiguebelle. On retrouve son assistance. Ca fait du bien de passer un moment avec des amis. Et puis, pour leur montrer qu’on est fort, on repart comme si de rien était, la frontale sur le front car la nuit approche. Peu après le ravito, on commence l’ascension du Col de l’Aigleton. Premier rire jaune : le sentier est une micro trace qui enchaine les épingles sur une pente abrupte. Les bâtons deviennent trop long : on peu directement poser les mains au sol ou même s’agripper aux touffes d’herbe pour ne pas repartir en arrière. C’est raidissime et un peu inattendu. Mais ça passe. La suite n’est pas mal non plus : Col de la Vache. Ah la vache ! En arrivant sous le col on ne parvient même pas à comprendre par où passe le chemin. La lumière rasante de ce début de soirée rend le moment magique. Compliqué mais magique.

 

echappée belle 2016

 

Les dernières pentes sous le col nous font basculer dans la deuxième phase de la course : après avoir fait pour le mieux n va essayer d’éviter le pire. Mode survie activé. Mieux vaut ne pas trop penser au compteur qui égrène de façon désespérément lente les kilomètres : à peine plus de 50. Le passage du col est un grand moment. De l’autre coté c’est le plateau des lacs des Sept Laux. Majestueux ! La luminosité est encore suffisante pour en profiter à fond. Rien que pour cela, ça valait le coup de ne pas trainer.

 

On courre de moins en moins car les jambes pèsent deux tonnes (chacune). C’est balot parce que le terrain s’y prête. Le sentier descend en une pente régulière et plus bas c’est carrément plat (normal, on longe les lacs). On allume la frontale au moment de plonger vers le Pleynet. Ce changement d’ambiance donne presque l’impression de commencer une nouvelle course. Notre usure physique nous rappelle que ce n’est pas le cas. Les lumières de la base vie semblent proches. Il faudra cependant un certain temps avant d’y arriver. Le chemin s’amuse à jouer avec nos nerfs. Il monte, descend, circonvolutionne autant qu’il peut. D’un coup, les organisateurs nous paraissent beaucoup moins sympas. On se met à regretter la première édition et sa base vie à fond de France.

 

En arrivant au Pleynet tout est oublié. Il est 22 heures, il fait doux. On croit que l’on a besoin de rien mais au bout de quelques minutes on se met à frissonner et on comprend qu’il faut s’alimenter, se changer et mettre une couche de plus.  Un ravito ce n’est pas que du repos. C’est surtout une succession de petites actions permettant de repartir au plus tôt dans les meilleures dispositions. Une trentaine de minutes et il faut repartir. Au taquet parce que l’optimisme est de rigueur. Au plein cœur de la nuit, on devise gentiment entre coureurs tout en trottinant vers Fond de France.

 

La pente s’inverse. On part à l’assaut de la Grande Valloire.La fleur au fusil. On a pas forcément bien regardé le road book. L’expérience du terrain est différente de ce que l’on avait prévu. C’est bien raide. Et il fait une chaleur moite qui colle à la peau. On digère mal la soupe du Pleynet. Une traversée un peu rock’n’roll d’un torrent entraine une inattendue rupture de bâton. C’est contrariant. Le moral passe de très haut à très bas en un instant. Cette ascension qui aurait du être un plaisir devient un calvaire. On se fait doubler sans répit. Ca dure un temps anormalement long mais on finit par rejoindre le premier chalet puis le second. L’accueil chaleureux du ravito nous fait l’effet d’un gros câlin. On en avait besoin. Un ultra trail c’est comme un ascenseur émotionnel. Notre moral ressemble parfois à la courbe du profil. Des hauts, des bas, des creux et des bosses. On ne s’ennuie jamais.

 

Le Lac du Léat luit dans la nuit étoilée. On aimerait s’y poser près du feu mais il faut rejoindre Gleyzin et sa bergerie. On ne sait pas encore si on a envie d’aller plus loin ou de rentrer chez soit dormir ; on avisera sur place. La suite fait peur alors on évite de trop y penser. La descente n’en fini pas. Le Gleyzin doit reculer à mesure que l’on s’en rapproche. On essaye de se concentrer pour comprendre comment un tel phénomène est possible et puis on renonce. A la place on met un pied devant l’autre – mécaniquement. Enfin on aperçoit les lumières du ravito. On s’effondre sur un mauvais banc de bois. Sous la lumière crue on boit une soupe. On avale difficilement un bout de fromage. On se dit qu’on ne repartira pas. Il fait bon, les gens sont sympas. On a fait ce qu’on pouvait mais le plaisir n’y est plus. Des excuses pour bidon pour ne pas avouer que l’on à peur. Oui, peur du Morétan. L’épouvantail de ce trail. Et puis d’un coup, sans trop savoir pourquoi, on se lève et on part à l’assaut de ce gros morceau.

 

Comme par magie, dès les premières minutes les sensations sont bonnes. On ne cherche pas trop à savoir pourquoi ni comment. On gère au maximum pour faire durer le plaisir. L’euphorie n’est pas loin. Ca va le faire, on va aller au bout.Au dessus du refuge de l’Oule ca se redresse franchement. On met les mains parfois. Les cuisses répondent encore présent. Le Col du Morétan est avalé comme une friandise nocturne. Trop facile, c’est bon. La descente coté Périoule nous ramène à la réalité. Une corde fixe permet de franchir la partie en glace. Plus bas sur la moraine il faut faire très attention, c’est technique. Près des lacs, il faut rester attentif et suivre les fanions entre les gros blocs. Tellement Belledonien ce terrain. En un seul mot : usant.

 

Aux Périoules, un ravito sous tente fort agréable. Des bénévoles aux petits soins (comme partout) nous invitent à passer un agréable moment. On s’arrache de cette torpeur avec beaucoup de mal. La descente vers l’étang est plutôt facile mais on commence à vraiment galérer. Le jour s’étant levé on repasse en configuration « jour ». Bonne excuse pour s’arrêter quelques minutes. Les kilomètres deviennent de plus en plus longs. Même en descente. Ce n’est pas bon signe. On essaye de s’alimenter. De s’hydrater. On sort les écouteurs pour mettre un peu de musique et essayer de trouver une nouvelle motivation mais tout se mélange et la lucidité ne revient pas.

 

La montée vers l’alpage du Compas puis vers la refuge de la Pierre du carré est franchement rebutante. Une sorte d’ancienne piste forestière abandonnée, herbeuse à souhait se redresse au-delà du raisonnable. La matinée s’avance et la chaleur revient au galop. On atteint enfin Super Collet. Super collé en fait. Collé au terrain surtout. A partir de là on fait tout à l’envers. On s’allonge sans se ravitailler. On ne dort pas évidemment. Trop fatigué pour cela et l’ambiance ne s’y prête pas. On perd du temps à tergiverser. On fait une hypo. Les infirmières sont sympa et donnent envie de rester (bien qu’elles t’encouragent à repartir – va comprendre).

 

On cherche des excuses pour rendre son dossard. On fini par en trouver une crédible (sur le moment seulement) : il fait trop chaud, saleté de canicule ! On sait qu’on le regrettera dans l’instant mais on le fait : on rend son dossard. De son ,plein gré on sort de cette formidable aventure humaine au bout de 100 km. Les 35 qui restent apparaissent soudain comme un trop gros morceau. On n’ira pas au bout de son assiette. Les yeux plus gros que le ventre. L’expérience reste intense et transforme le coureur. On en ressort un peu déçu mais fier d’avoir participé. Aucun regret d’avoir choisi le parcours le plus long. Quand on recherche ses limites il faut accepter de les trouver.

 

Endorphinmag

Avril 2017