3. « ILS FONT LE TRAIL »  

EPISODE#3/1 : L’ATHLETE – Laurie Phaï Pang Castes

Pas simple de choisir UN athlète. Surtout quand on cherche la difficulté : représentatif ET original. Et puis l’évidence déboule un matin ! Laurie + Phaï + Pang + Castes. Un peu plus que la trentaine, mais un vécu qui vaut le double. Du Cambodge au sud Ouest, d’une baballe blanche aux mondiaux de trail, une leçon qui court. Car en existence ou en histoire de vie(s), Miss PPC a gros à transmettre. Alors silence et oreilles grandes ouvertes, rdv virtuel à l’heure d’un verre de rouge – Malbec, of course. Episode 1

Elle est claire. Hargne, sourire, projets. Humour en ponctuation. Pas le temps de s’épancher, les états d’âme, peut-être plus tard : Laurie Phaï, c’est la simplicité heureuse d’une tornade. Et ce bonus d’enfer qui fait les champions, il ressemble à une âme d’enfant préservée. Et pourtant.
Chapitre 1 : la balle blanche en fait une ado haut niveau. Internationale de tennis de table, Laurie Phaï écrit sa première histoire de performance. C’est un sport individuel, pourtant le gout de l’équipe l’imprime jusqu’en 2007. Chapitre 2 : l’appel de la course est un cri, et Laurie y répond en 2013. Sa foulée sent le cross boueux, les entrainements Kway/frontale sur un tartan dégueu, et les weekends à se déchirer – les scores suivent. Elle devient semi ET marathon, asphalte et bitume. Chapitre 3 : elle déboule en 2016 et s’abonne aux podiums trails.
Diversité comprise, la Toulousaine frappe sur 8, 32, 62…kilomètres. Quadruple Reine d’Angkor (16km – 2018, 32km – 2017, 2019, 2020), d’un Mad Trail (2016) ou Top 10 d’une Mascareignes. De l’Atlas (3e de l’UTAT Challenge 2016) au Cambodge, sa route la mène jusqu’aux Mondiaux 2019 – et en équipe. Enfin Laurie Phaï, c’est une compétitrice cumularde, une amatrice de foulée barrée : grimper la Tour Eiffel ou une Red Bull 400 ? banco gagnant. En résumé, Laurie promène un mental d’amazone sous sa casquette 5 panels, alors que les blessures en auraient couché d’autres. Certains l’appellent résilience, d’autres transcendance. Une certitude, sa discrétion est à la hauteur de son engagement pour les autres, et de sa machine à rêves très active. Ma meilleure pote est championne de trail ? Synthèse tentante…à élargir toutefois.

JG : Courir : si rébarbatif pour tant de sportifs ! Pourquoi le trail après 15 ans de tennis de table ?
Laurie Phaï : En 2007, je pose ma raquette internationale, pour terminer mes études et profiter de la vie « normale » ! 5h d’entraînement/jour pour un sport où on naturalise des chinoises à la chaine en Europe…je ne trouve plus de motivation. Un 1er enfant en 2012, sa sœur qui arrive en 2013, mais le drame de son décès à la naissance. 3 jours de néant. 3 jours de chaos puis un appel, une urgence : sortir, courir, bouger, je ne sais pas. Tiens des baskets propres…et me voilà entrain de trotter dans l’Aveyron. J’essaie, bon dieu ça pique - j’ai toujours détesté courir, anti-ludique total. Mais là, voici que j’adore. Je vais n’importe où, avec un peu de chance je vais me perdre, de toute façon je le suis déjà. Je garde tout en moi mais j’ai l’impression que ma rage se transpire. Au boulot, des collègues font des trails, je leur dis ok pour le Tripou Trail. Aout 2013, 1er dossard. Azimutée.

JG : quand tu débutes, as-tu déjà une vision du trail, ou est-ce un simple besoin de te dépenser ?
LP : D’urgence, je dois me faire mal. Ne penser à rien très rapidement, mais également phosphorer à bloc – paradoxe de l’endurance. Retrouver aussi un semblant de physique : même si le mental est alors à zéro, j’avais perdu beaucoup de poids et ce sport me redonne un équilibre minimum. Et puis remettre le corps en marche, organise un tantinet les idées, aussi noires soient-elles. Courir ? je n’y connais rien et franchement, la science ne me branche pas. FC max, VMA, seuil…. Je m’en fiche complet. 10 km/h, c’est bien ça non ? Chiffre rond, peu importe le terrain, j’essaye de rester à 10 ! Un jour, j’accroche un numéro, je finis 3ème féminine du trail Ikalana… et je pars avant le podium car je ne sais même pas mon score ! Mais je suis cassée, je manque de vomir, et j’adore ça. Ma « vision » devient ceci : donner le maximum, ne surtout pas se prendre la tête, et ne surtout pas reproduire la pression ping pong – toute seule dans ton aire de jeu, la main qui tremble, implacable. Là, tu es en pleine nature, on se moque du résultat, au pire tu quittes les sentiers et tu peux même disparaître (seul l’organisateur s’inquiétera !).  Des courses tous les weekends, personne ne me connaît, on court et au revoir. Le rêve et l’anti-solo pression. Alors je m’y mets, tôt le matin et à la mi-journée.

JG : On connait ton approche de la nutrition (ambassadrice Meltonic). Le trail t’incite-t-il à t’en soucier, par rapport à ton passé pongiste ?
LP : C’est vrai, la nutrition n’était pas primordiale lorsque j’évoluais en Équipe de France. Jeune et chanceuse, je mangeais correctement et le corps tenait. Mais en running, j’ai découvert les points de côté, fringales, hypo, etc. Tu l’as dit : je n’avais aucun plan, sauf tout découvrir. Trail, court, long, cross, route. Du coup j’ai tout testé ; du gel tutti frutti à la boisson du petit chimiste. L’endurance est par définition une pratique qui décuple l’importance de la nutrition (impacts, durée, acidification). La découverte de cette marque mellifère a été un vrai cap, tant sur la durée que sur le mieux-être. Bio, sans gluten, centré sur la digestibilité ; des clefs évidentes et qui me vont bien. Cette approche devrait s’appliquer à tous les sports. Sans parler du quotidien…

JG : La double blessure accompagne ta vie ; histoire paternelle, vie de femme et de mère. Ton parcours sportif réussi transmet un message fort : se constituer de ses blessures, en les faisant forces ?
LP : Pour chacun, la vie amène son lot de blessures mais heureusement de bonheurs aussi. Mon père a subi les Khmers Rouges, prisonnier, fuite, famille assassinée… Réfugié en France en 1978, il rencontre ma mère et entre 1981 et 1986, nous voyons le jour avec ma sœur et mon frère. A mon tour, il arrive cet événement en 2013 mais finalement tu découvres qu’aujourd’hui tout le monde galère à avoir des enfants… Or, j’en ai déjà un, il va bien, et puis moi aussi je suis sauve – car on s’apercevra que la poche était infectée, que j’ai frôlé la mort par septicémie…Tu gamberges, tu es forcé à relativiser, oui, j’ose le dire. Finalement le corps a bien fait son boulot, en étant forcé d’« expulser » le corps malade. Puis je retrouve un équilibre avec le sport, qui a toujours fait partie de ma vie, je rencontre Ludo, il me fait courir au Cambodge, etc. Et regarde tous les projets qui ont suivi…

JG : Il y a donc cette rencontre marquante avec un certain Ludo Collet*. Que se passe-t-il alors ?
LP : En mai 2016 c’est le Festa Trail, et j’y suis-je en mode touriste comme toujours. Car j’ai décidé de passer mon DEJEPS en tennis de table ! Je m’aligne sur le 18km nocturne, découverte. Et je termine 3ème féminine. Ludo m’accueille et on accroche de suite, il me pose pas mal de questions sur mon parcours et très rapidement via Messenger, on échange sur l’intégration du groupe d’athlètes qu’il coache**. On tente la préparation du Mad Trail 62km (je n’en ai jamais couru 30 !) et…je gagne cette course en étant hyper bien. La victoire est anecdotique : je découvre surtout la sensation d’être bien préparée, et ça, ça fait sens. Je me sens mieux, Ludo est protecteur, il va m’aider à trouver des courses sympas à faire, sans trop gamberger. ll comprend mon cheminement, ne me met jamais la pression, et il me parle du trail d’Angkor de janvier 2017 : la course qui va changer ma vie.

JG : Quels sont tes modèles d’athlètes féminines, et pourquoi ?
LP : Question très complexe : j’ai trop côtoyé le haut niveau, où le dopage m’a écœurée. Alors je ne citerai pas de modèles d’athlètes de ce milieu. Trop de désillusions à l’INSEP, et quand je vois certaines « championnes » qui se font attraper et qui reviennent… sachant que la mémoire musculaire prouve à vie que tu es dopée, mais ça c’est un autre sujet – no comment. En revanche, j’ai rencontré des femmes exceptionnelles qui ont eu des parcours de vie bien plus difficiles que le mien, et qui ont réussi des exploits. Anaïs Quemener et Emmanuelle Mayeur qui ont vaincu le cancer, s’alignent sur des ultras, ou réussissent des chronos dingues. Avec bien plus d’humilité que beaucoup d’instagrameuses…Ces filles, j’y pense quand je suis en course ou dans le dur. Elles m’ont plusieurs fois aidé à puiser, ne rien lâcher. Honnêtement, je les en remercie.

JG : Le rêve ultime, quel serait-il en termes de projet sportif ?
LP : On pourrait penser JO 2020, mais finalement je ne crois pas en avoir : j’ai participé à de grands événements mais les meilleurs souvenirs, restent ceux qui sont partagés. Alors j’ai bien des envies, comme faire des courses mythiques et découvrir certains endroits, mais on va dire que mon rêve actuel est un projet très concret ; celui de détecter deux jeunes « 100% » cambodgiens (un garçon et une fille) pour les prochains mondiaux du monde de trail en 2021. C’est pourquoi j’y retourne en mai 2020, afin d’organiser un stage gratuit. Histoire d’identifier des jeunes à entraîner, et de les aider à découvrir ce genre d’événements…qui fait briller les yeux et battre le cœur.

* Ludovic Collet, figure emblématique du trail : speaker et animateur historique de l’UTMB (et autres), mais également coach de Laurie Phaï, Abderrahim Kemmissa, Sabrina Laudes, et de la sélection Cambodgienne lors des Mondiaux de Trail 2019.

Texte Julien GILLERON
Crédit photos Bouba - Ile de la réunion / Laurie + Ludo Collet


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