5.2 « ILS FONT LE TRAIL »

EPISODE#5-2 : LE PILOTE D'HELICO – Yannick Herman

Léonard de Vinci doit se retourner dans sa tombe – mais du bon côté. Sa machine de guerre, voila qu’elle sauve des vies. Lui en est le patron, et a appris à regarder le ciel avant de causer : professionnel des pales et de l’autoportance, c’est autant un virtuose du gros temps qu’un philosophe forcé. Métier ? Pilote d’hélicoptère en montagne. Vaisseau volant embarquant le PGHM, parce que Kevin a oublié sa couverture de survie et sans prévenir ; ou qu’elles sont quatre à risquer le pire là-haut, malgré toutes précautions.
Yannick Herman, Section Aérienne de Gendarmerie, est l’un de ces Maitres du manche qui « permettent que », et toujours sans effet – de manche ou d’égo. On oublie un peu trop qu’à s’envoler rapatrier, lui et tous ses collègues mettent leur vie en jeu. D’un UTMB à une rando qui dérapent, son mouchoir de poche, c’est l’atterrissage coton ; sa faune ? Nous, en sportifs à risque. Suite et fin de notre rencontre, avec l’un de ceux qui « font le trail ».

Julien Gilleron : Quelles sont tes émotions à chaque décollage, ou selon l’échelle de gravité pour laquelle vous partez intervenir ?
Yannick Herman : Nous aimons voler. Fondamentalement…presque animal. Donc nous sommes généralement ravis de décoller ! Cependant, tu t’en doutes, l’ambiance n’est pas toujours la même. Si la météo est dure, les marges de sécurité se réduisent, et la concentration devient maximale. Il ne faut pas hésiter à faire demi-tour avant de rendre le vol trop risqué. Il y aura toujours une autre solution. Même si dans notre analyse, nous ne devons pas prendre en compte l’enjeu de la mission, on reste humains : on peut se laisser un peu influencer et « forcer un peu » l’intervention, si on sait d’avance que la pathologie est très grave, ou s’il s’agit d’un enfant, par exemple... Personnellement, il ne m’est encore jamais arrivé de croire que je n’allais pas rentrer.

JG : Quelle part de risque encourrez-vous ?
YH : Chaque vol implique un risque, par définition. C’est inclus dans le job – passionnant ! Mais nous ne sommes pas des casse-cous en manque de sensations. Le risque ? pas plus pour les interventions trail que sur d’autres activités. Je dirais simplement que la météo est souvent le facteur limitant de notre métier. Lorsqu’il fait beau tout paraît simple, mais lorsqu’il y a beaucoup de vent ou des du gros temps, ça devient vite compliqué. Voire Rock&Roll.

JG : Combien de personnes en vol : toi, copilote, et plusieurs secouristes ?
YH : Nos équipes et nos machines peuvent effectuer beaucoup de missions différentes…et les configurations sont nombreuses ! Pour tout ce qui est missions de sécurité publique, nous avons du matériel (phares, caméras, jumelles de vision nocturne.... ) et sommes capables d'embarquer des enquêteurs, des équipes d'intervention (GIGN), des autorités... En ce qui concerne les secours, l’équipe standard d’intervention en hélico est composée de 5 personnes : un pilote, un mécanicien de bord treuilliste, deux secouristes et un médecin. C’est un peu la configuration « couteau suisse » du secours en montagne qui nous permet de tout faire… accident de rando, trail, escalade, parapente, alpinisme, ski…Nous pouvons bien sur adapter l’équipe en fonction du besoin.

JG : Parlons souvenirs d’interventions sur trails. Lesquelles gardes-tu en mémoire, et pourquoi ?
YH : J’ai en mémoire beaucoup de sorties hélico, où j’ai pu constater que les trailers sont capables de puiser très loin dans leur organisme. Certains sont récupérés dans un état d’épuisement extrême. J’ai également le souvenir du secours d’un trailer en haute montagne, qui avait dévissé à 3500m d’altitude dans le couloir Coolidge au Pelvoux (05), sans aucun équipement spécifique. Il avait alors glissé sur le ventre sur plus de 300m… Nous l’avions récupéré rempli de dermabrasions. Il doit en garder un mauvais souvenir... Il me semble que la pratique du trail en haute montagne, après s’être développée, s’est aujourd’hui réduite.

JG : Te souviens-tu de la réaction d’un blessé secouru, en particulier ?
YH : Même si certains considèrent que tout est dû, la plupart des secourus sont très reconnaissants. Il arrive quelques situations un peu loufoques, où les gens hésitent à se laisser embarquer à bord de l’hélicoptère par crainte de recevoir la facture ! Mais en France, nous avons cette chance inouïe, que le secours soit encore gratuit.

JG : Le PGHM et vous, ne pourriez exister l’un sans l’autre. Ou considères-tu que le PGHM conserve une prépondérance en secours ?
YH : Non, il n’y a pas une unité plus importante que l’autre. Nous sommes une équipe, où chacun possède des savoirs faire très techniques dans son domaine. Nous avons tous nos contraintes. Le défi réside dans le fait d’atteindre les objectifs communs, qui sont de porter assistance et d'établir les responsabilités, en composant avec les contraintes de l’autre – en plus de l’unicité de chaque secours.

JG : Ces trailers…prennent-ils assez de précautions aujourd’hui ?
YH : Il y’a de plus en plus de trailers, donc forcement et mathématiquement : davantage d’interventions. C’est ainsi, qu’on le veuille ou non. Mais comme je l’évoquais, j’ai l’impression que certaines pratiques dangereuses (comme le trail en altitude) ont diminué. Dans tous les cas, ne perdons pas une chose de vue : la pratique de la montagne, sous toute forme, nécessite une part d’engagement et une force morale importante. Trop de pratiquants partent en montagne rassurés, simplement en se disant qu’en cas d’imprévus, « un coup de téléphone aux secours et le problème est réglé ». Or, ce secours en montagne est un moyen rare et onéreux qu’il faut préserver. La montagne n’est pas un univers aseptisé comme un stade de foot, ou une salle de sport. La situation peut rapidement dégénérer par une simple petite blessure à la cheville, un aléa météo ou un horaire trop tardif. Les pratiquants doivent tout mettre en œuvre pour se débrouiller seuls d’abord. Il est indispensable d’avoir dans son sac un strap, une frontale, une couverture de survie, à manger…Mais on le répète assez souvent. En cas d’imprévu, il faut d’abord compter sur soi avant de compter sur les secours.

JG : Tu es trailer. Quelle est ta vision de ta pratique, étant donné que tu la connais aussi par ses conséquences (le secours) ?
YH : En effet, j’aime le trail, c’est un sport outdoor où le plaisir est immédiat. Comme beaucoup, j’ai eu ma période où je recherchais la performance, et m’imposais des séances d’entrainement pas fun du tout. Aujourd’hui je privilégie le plaisir simple, je pratique à l’envie et suis davantage dans la contemplation. Ce qui ne m’empêche pas de relever de beaux challenges ; j’ai écumé pas mal de courses notamment en Savoie et à La Réunion (2 diags), suis en route vers la CCC 2020 (virus à part….). Et j’essaie de m’appliquer les principes de sécu que je prêche pour les autres.

JG : L’organisation des grands événements te semble-t-elle assez carrée coté secourisme ? Ou peut-on limiter encore plus le risque ?
YH : Pour les grands rdv, les organisations se sont beaucoup professionnalisées. Coté secours, je pense qu'on a atteint un très bon niveau. Les chiffres parlent d'eux même : le nombre de trailers a explosé et proportionnellement nous n’y intervenons que rarement. Les orgas n'ont pas le choix, s’ils veulent être couverts, ils doivent respecter toutes les exigences de sécurité, très strictes en France. Ce qui explique surement en grande partie les couts d'inscription aux grandes courses, élevés.

JG : Quelle intervention de ta part sur un UTMB ou de grandes courses ?
YH : Arrivé en 2019 à Chamonix, je n'ai encore pas eu l'occasion d'intervenir personnellement sur l'UTMB. Je crois d’ailleurs que notre aéronef n’y est pas intervenu une seule fois sur la dernière édition, preuve que l’organisation est pointue. Néanmoins, il m’est arrivé d’intervenir sur d'autres grands trails. Généralement, c'est de la petite traumatologie type cheville, genou ou épuisement. Il arrive cependant des cas dramatiques : je me souviens notamment d'un malaise sur une course réunionnaise. Lorsque nous sommes arrivés, le coureur a fait un arrêt cardiaque. Il est décédé sur place. C'est aussi ça, notre quotidien, que ce soit sur des interventions liées au trail ou à d'autres activités. Les très bons moments côtoient parfois les plus tragiques.

Texte Julien GILLERON
Crédit photo Y.HERMANN


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