10-1. « ILS FONT LE TRAIL »
EPISODE#10-1 : L’INVENTEUR – Christophe Aubonnet
Ingésportif, pratico-pratique du rêve. Chercheur de soluce, Développeur d’idée. Athlète à grosse tête et esprit d’équipe : facilitateur d’Hoka. Christophe Aubonnet, c’est un alliage dont on n’a pas encore saisi la formule ; une histoire de réactions en chaine entre incrédulité et XXL.
A 50 balais, le savoyard balade le vécu d’une ère géologique – celle des années 80/90 et de toutes les expériences lycra. Car Géo Trouvetou, c’est l’Ubiquitaire du Haut Niveau : skieur international, Kayakiste national, raideur mondial. Palmarès plus épais qu’IronMan, mais ne comptez pas sur nous. Le premier qui parle de sportifs décérébrés : out. Le second qui parle de gros sous : over. Rien qu’une fois, nous causerons origines et tenterons de comprendre ; ou comment l’INSA mène à tout. Ou comment on peut dire à Jim Walmsley « Stop. Ralentis.».
Julien Gilleron : Ton parcours est connu ; histoire de hauts niveaux proche de la success story. Or, là est sans doute l’erreur : voir ton chemin comme une réussite en chaine ?
Christophe Aubonnet : C’est flatteur de démarrer ainsi…mais parler de haut niveau est très relatif. J’ai la chance d’avoir grandi en montagne au contact du sport et de la nature, d’avoir toujours baigné dans des univers qui m’ont permis de m’épanouir et d’être quelqu’un qui se nourri de passions. Alors oui, j’ai pu pratiquer intensément et par cycle un certain nombre de sports outdoor : ski alpin, kayak, raid multisport, trail, ski-alpinisme, triathlon etc… J’aime ça, c’est viscéral !
Mais chaque cycle de passion a été truffé de doutes, de « non-succès ». Comme tout compétiteur, j’ai rêvé de grandes choses, j’en ai atteint certaines. Mais la quête du très haut niveau m’avaient ouvert l’appétit pour encore plus : une sélection ratée, des chutes, des bobos, des peurs et c’est une peu du rêve qui s’envole. J’ai appris la persévérance… et l’acceptation aussi. Quant à mon « parcours…connu », c’est très relatif et important de rester à sa place. Je crois que c’est surtout parce que j’évolue dans l’univers outdoor depuis un paquet d’année que je commence à avoir croisé un peu de monde, plutôt que par mes « médailles d’or ».
JG : Comment définirais-tu ta mission actuelle ? Instantané 2020. L’estampille officielle, ou telle que toi, tu la vois.
CA : Professionnellement, je suis basé à Annecy au sein de l’équipe Innovation de Deckers. Groupe californien, spécialiste de chaussures et d’outdoor depuis plusieurs décennies, qui englobe HOKA, UGG, Teva, Sanuk…L’équipe d’Annecy, c’est une petite partie du pool Innovation du groupe. On gère un certain nombre de projets, avec une forte valeur ajoutée sur la R&D, le prototypage et les innovations de rupture : identifier des domaines, des catégories où on peut proposer des idées nouvelles, des équipements avec des concepts et solutions inattendues. On se base sur nos connaissances de l’outdoor, les insatisfactions ou envies exprimées par les pratiquants, et sur nos expériences personnelles multisports… : sur du vécu et du bon sens, tout simplement !
JG : Tu plonges très tôt dans la compétition. En outre, tu cumules les disciplines, du national à l’européen. Et enfin, tu effectues une scolarité plutôt brillante. Es-tu poussé à la surexigence, ou est-ce un « simple » enchainement que tu as suivi ?
CA : Je ne pense pas être surexigeant, j’espère en tout cas ne pas en avoir les travers (!), mais je sais avoir composé très tôt avec deux leviers importants : 1) écouter et accepter d’utiliser certaines prédispositions même si j’avais d’autres envies. 2) être patient, persévérant (et un peu obstiné) lorsqu’on prend une voie qui ne nous semble pas favorable mais qu’on l’a au fond des tripes !
Premier exemple : jusqu’en terminale, je ne voulais pas entendre parler d’études scientifiques. Allergie aux prépas, blouses blanches et côté professeur Cosinus ! Mais j’ai fini par accepter les conseils qui vu mon profil, m’encourageaient à y aller. Le déclic a été de découvrir une école d’ingénieur avec une section sport études (INSA Lyon). Avec le recul, je confirme : c’était la meilleure voie pour moi !
Deuxième exemple : ayant toujours pratiqué des sports de glisse, qui mixent grands espaces et adrénaline, j’avais horreur…des sports d’endurance. Mais à cause (grâce !) au kayak et ses côtés exploration et aventure, j’ai rêvé du Raid Gauloises, plongé dedans en 2002 au Vietnam et suis devenu un accroc des défis d’endurance ! Côté persévérance, je peux reprendre le cas de l’endurance. Mon gabarit, mes qualités physiques, mon vécu…rien ne me prédisposait à faire des ultras, du ski-alpi ou pire encore…de la natation et du triathlon. Et pourtant l’envie était là, j’ai découvert et appris avec patience. Accepté d’être débutant, persévéré et les plaisirs simples ont été mes récompenses au quotidien. Peu importe ce que les autres pouvaient penser de mes particularités physiques et de mes perfs modestes. Au final, je garde le sentiment de relever des défis ambitieux mais accessibles pour pas mal de monde, et finalement si j’ai une singularité ? ce serait cette polyvalence et ce gout de jouer en outdoor au milieu des éléments, sous toutes leurs formes.
JG : De ta période ski et kayak, que retiens-tu en termes de savoir-êtres qui te serviront plus tard ?
CA : Ce sont des sports individuels, mais en réalité, tu y es toujours en groupe. Sur les compétitions importantes, tu peux être ravi de ta perf’…mais d’autres dans le groupe seront passé à côté et feront la tronche ! Un coup c’est toi, un coup c’est l’autre ! Tu apprends à rebondir positivement et émotionnellement tous ensemble, pour que le groupe soit plus fort que les états d’âme de chacun. Et surtout, tu apprends à rester humble. Et puis j’en ai retiré des amitiés, des copains de la première heure qui sont toujours là.
JG : Ta pratique sportive frôle la boulimie. Dans les années 2000, tu passes aux Raids multisports. Pas suffisant ? 4 UTMB, Diag’, 7 Mondiaux en Raid Aventure…: qu’est-ce qui te pousse à creuser autant l’ultra endurance ?
CA : J’aime cette mise en danger (au moins psychologique) face au prochain défi, l’énormité de ce qu’il représente, les craintes et peurs qui l’accompagnent, la quête de confiance qui s’opère en puisant dans ses expériences, ses atouts, ses échecs et réussites passés. J’aime le voyage et la découverte que nous offrent ces grands projets. Le partage, avec ton équipe, avec les autres, sans calcul. J’aime la découverte de ce qu’on a en nous, de ce que notre corps et notre tête sont capables de nous offrir à condition d’oser aller loin. Le lâcher prise qui est indispensable pour espérer aller au bout de l’aventure. J’aime aussi le retour sur terre, le plaisir du café au lait au petit matin, la chaleur du feu, le confort de son lit.
JG : Savoyard et très intégré dans le milieu montagne, on en vient naturellement à intégrer Salomon ? Comment se fait la rencontre, une reconversion post haut niveau ou un chemin bien à lui ?
CA : Depuis assez jeune, je rêvais de concilier sport et vie active. En classe de CE2, j’avais mis sur un cahier d’école vouloir être moniteur de ski, bucheron et…ingénieur ! Tout s’est (presque) vérifié ! A 20-22 ans, durant les années d’INSA, j’ai tout fait pour effectuer mes stages dans une boite de sport. Après de nombreuses tentatives, et alors que j’essuyais refus sur refus, une autre proposition chez Salomon est tombée à point nommé. Stage de fin d’études, puis projet de fin d’études. Et malgré un break en 94/95 pour le service militaire (chasseur alpin), j’avais mis le pied à l’étrier Salo’.
JG : Impossible de ne pas l’évoquer, car la légende est tenace : un volcan italien, 3 coureurs. Naissance de la pré-idée d’une nouvelle chaussure. Vérité, ou corrections ? et surtout, que se passe-t-il alors pour toi ?
CA : Cela se passe lors d’un raid aventures de 30 heures non-stop. On est en octobre 2000 en Sicile, équipe de 4. Vers 3h du matin et après 20 heures d’effort – et de fatigue – on pointe un check-point en haut de l’Etna. On est en trek et on doit alors redescendre 1000m sur les flancs du volcan pour regagner la fin de section. On est un peu dans le dur…Terrain technique, fatigue, nuit et brouillard. Et pourtant, voici que tout devient magique lorsque la foulée s’allonge et se fait de plus en plus légère ! Courir sur la pouzzolane apporte du plaisir, de l’adrénaline, des sensations. On vole, on est euphorique. On vit un « magic moment » qui se révèlera des années plus tard avoir été la première graine de l’ADN de HOKA.
JG : Tu évoques souvent la notion d’aventure, pour caractériser ton chemin sportif et personnel. Tentons la rétro’ : à tous points de vue, quels sont tes challenges dans lesquels tu retiens le maximum d’aventure ?
CA : En évoquant le mot aventure, les premières images qui me viennent correspondent à des moments d’immersion en pleine nature, face à des difficultés, une météo hostile, des zones difficiles en progression. En pleine nuit ou au petit matin, loin de toute sécurité. Ce sont des images de raid aventures ou de haute montagne, pas forcément au bout du monde puisque ces situations existent aussi proche de chez nous. Et avec ces images, des sensations fortes, plutôt positives, des moments où on se sent vivant. Les grandes aventures, ce n’est finalement pas forcement celles où tu aurais pu y rester : plutôt celles où tu es allé chercher loin, très loin. Quand elles sont partagées, elles sont magnifiées.
Interview Julien GILLERON
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