Tor dret 2018

 

 

« Je suis très satisfait de la façon dont le relais a été joué, nous avons montré que l'unité était notre force. Ma course était basée sur les nuits pour m'assurer que mes invités puissent profiter du paysage. Marcher la nuit crée un certain charme, il semble que l'attention à la fatigue, la première lumière en altitude viennent en premier et si vous regardez les pics qui commencent à changer de couleur, il semble que vous dessinez l'électrocardiogramme ... une expérience unique. Si vous apprenez à perdre, vous n'aurez pas peur de gagner. » dixit Francis Dessandre athlète et surtout organisateur …

 

« Pronto, Je cherche une athlète féminine pour faire partie de l’équipe de personnes amputées qui se lancera en septembre pour défier la deuxième édition du Tor Dret 2018.  Tu connais le Tor des Géants, c’est sa petite sœur 130 km et 12000 m de dénivelé + » voilà à quoi ressembler mon 1er contact avec Francis Dessandre initiateur /organisateur de notre Team « Gamba in Spalla » et concurrent Italien du Tor Dret , il y a  juste quelques mois courant mars …..

 

Ce qui me connaisse un peu, savent qu’un défi nouveau est toujours pour moi source d’inspiration.

 

Le trail, je le connais comme fervente supportrice d’ami et de mon époux surtout (les 6000D/ UTMB plusieurs fois, ITT, TDS. etc.) : le sas du départ, les ravitos, les refuges, les nuits sans sommeils pour arriver au seul point possible et apercevoir parfois juste une fraction de seconde une paire de basket ou la frontale, donner un « go go » de soutien pour les nombreux kilomètres, jusqu’à l’arrivée sous l’arche finale.

 

Mais là en Italie, c’est le 1er l’ultra trail à ouvrir sa porte (merci à Alessandra Nicoletti) à des personnes en situation d’handicap ! Le projet d’une équipe de 5 personnes amputées qui ont la chance de faire en relais les 130 km de la Tor Dret (euh c’est 4 ans de travail pour Francis et  sa famille pour arriver  à faire admettre  notre  présence et une organisation  titanesque)

 

Des accompagnateurs pour chacun de nous, un staff audio visuel, des voitures relais, des entrainements, des choix de parcours selon notre particularité…

 

Moi, Fabienne « petite Française » au milieu de cette immensité avec une accompagnatrice hors pair en ombre Italienne (elle ne me lâchera pas d’une semelle !), Marie Texeira.

Ce 11 septembre 2018 nous sommes parties défier les kms, l ‘altitude, l’immensité pure de la Vallée d’Aoste et fouler le désir et l’enivrante « drogue » du montagnard.

1er jour mardi soir départ de nuit à Greyssoney /Saint Jean au milieu de ces nombreux traileurs de toute contrées. La surprise se lit dans le regard de ces concurrents lors de notre présentation et quand nous franchissons comme eux ce SAS tant attendus comme un Graal. 

Cinq jambes de carbone, de titane et autres composants vont accompagner en équipe sur 4 km celui qui ouvrira « le bal au son des clic clac de nos bâtons mêlés à ceux de nos prothèses », Moreno, spécialiste des Verticales est amputé fémorale (et un genou électronique).

Les premiers encouragements sont intenses, nous ne doutons pas du tout de notre performance : nous avons tous en tête d’être bien là à Courmayeur vendredi prochain. Mais nous avons aussi à cœur d’avoir un certain chrono dans chacune de nos têtes, sous chaque semelle.

 

Mais je suis bien là sous l’arche de départ entre trépignassions, excitation et doute. Tous se mélangent et les sentiments sont assez étranges : une histoire va s’écrire avec nous tous.

Mais aussi une pointe de doute : car dans ce cadre-là et dans ces hauts sommets : aucune erreur. C’est aussi affronter les éléments pluie, neige, boue, blessures, déshydratation, alimentation dans l’effort, froid, fatigue, obscurité ; Je les connais tant ces doutes que chaque supporter à sur « son poulain », certes le relais va nous permettre de tester nos limites, de ne pas aller trop au-delà avec notre prothèse et risquer d’abdiquer sur blessure. Nous allons nous battre à connaître encore plus notre corps, notre esprit, une bataille que nous avons choisi cette fois : nos pensées sont hardies et ses divers précipices que nous frôleront sont seulement des petits trous.

 

Les lucioles de tous ces coureurs serpentent là-haut sur le sommet de Greyssoney. Mon départ est fixé dans quelques heures si tout va bien au pied du Cervin à Valtourmenche pour une étape de 17km !

Troisième étape pour l ‘équipe, 1er pour moi : Marie, je la connais un peu et je vais découvrir, Adolfo notre guide Italien : le courant passe aussitôt en chantant notre chant fétiche, comme une mise en « jambe » : oups merci pour mon unique poumon et la montée qui s’annonce.

Nous croisons les Géants, les encourageons, les Tor Dret…. qui a bien regarder mon dossard, en perdrait l’équilibre !!! Nous prenons le temps de donner un peu d’explication sur notre but commun. Nous nous donnons tous rendez-vous à Courmayeur…. Ça c’est sûr !

 

La montée se fait tranquillement dans un premier temps avec mon ombre un peu trop prêt dans mes baskets mais présente : C’est Marie.

 

Mon grand défi, c’est la montée, un rythme pas trop intense pour ne pas « griller » les cartouches sous mes pieds, les fourmillements d’impatience se fait sentir mais ce n’est pas une course de sprint !  Je sens et je voudrais accélérer : ah oui j’ai omis de vous dire mon handicap invisible (affiché par un dessin sur mon cuissard). Que chaque concurrent n’en revienne pas et reparte le pas plus léger et oublis leurs petits tracas… ….  Un poumon / une jambe pour faire défiler les 17 km qui deviendront finalement 25 km et 1578D+.  Ma seule technique depuis quelques temps : 5 pas en inspirant 4 en apnée et 5 en expirant…  Moins de fatigue plus d’oxygénation, tout les 10 minutes je m’hydrate, une pause de 2 minutes pour redescendre mes battements et c‘est reparti… Je peux alterner alors ce qui me sera réservé en entre montée /descente /montée /descente sous un soleil de plomb pour comprendre à chaque pas que la vallée où nous devrions arriver est bien loin encore.

1ère étape rallongée au dernier moment, aura le mérite de nous faire rire plus d’une fois, de nous souder, notre leitmotiv « Tor dret » … « c’est là »

A chaque descente, je reprends mon souffle et je m’envole tel un cabri et j’entends les cailloux qui roulent, les froissements des sacs…

 

La nuit tombe bien sûr et pour pimenter le tout, un orage à 15 km qui inquiètera l’équipe, une petite ondée pour nous rafraichir. Mais nous arrivons dans un désert ni portable, ni la radio n’émettra, seule alternative la machine est rodée : on avance, on chante, on se découvre.  Tout est beau, seuls au monde au milieu du plus beau cadre : arriver sûrement mais cela est notre dernier souci nous sommes sur notre nuage… Ouf, les fanions fluorescents nous ramènent à la réalité parfois quand ceci ne sont pas manges par les bêtes.

00h30 nous arrivons enfin pour donner le relais, à Massimo.

Nous repartons de cette 1ère étape sur un nuage d’Adrénaline, prêtes pour le lendemain, la nuit est courte car trop d’émotions, il me faut retenir prothèse et chaussures même dans le lit

 

Le lendemain :  rendez-vous au refuge Champillon : Un changement dans la nuit, suite à l’abandon d’un de nos coéquipiers (trop de fatigue) ; moi qui espère faire une bonne vraie montée digne de ces sommets qui nous entourent, me voilà servie.

 

Refuge Champillon (2465 m) au son des cloches, je cale mon pas au soleil couchant pour 1 h 15 de montée au col Champillon à 2709m. Nous allons tâter le Graal des alpinistes un tout petit peu :  soit coucher de soleil, un orage au loin qui éclairera les nuages rouges ou violacés, la lune pour seul projecteur. Et un record pour moi :  15 minutes de plus, mes deux acolytes en sont fiers, je vois leurs yeux brillaient de fierté pour nous, pour moi. Plus qu’à descendre la longue, longue descente jusqu'à saint Remy des Bosses : les géants nous doubleront qu’en bas, auprès d’une polenta digne de ces refuges perdus ou tout est possible.

 

Les quelques Français ou Anglais croisés s’inquièteront de ma descente, elle semble interminable pour eux qui courent depuis dimanche… mais ils oublient que là je me sens bien, je me mettrais même à courir sur le chemin tapisser d’aiguilles de pins, tentant de semer mes coéquipiers pour donner la sainte « Galeta » et son œuf, bien avant l’heure fatidique lors nos prévisions du matin. Nous avions quelques heures de retard : mission accomplie, on en a gagné ! Adrénaline à fond, je loupe dans le virage, le relais ébloui par notre cameraman planqué pour les belles images à venir : 14 km et 398 D+. 

 

Heureuse de laisser le flambeau et triste à la fois, il reste juste la dernière étape de demain en équipe pour arriver à Courmayeur pour 15 km et 400 de D+ et c’est l’arrivée.

 

C’est un avant-goût d’une fin annoncée, d’un final à venir mémorable. Je voudrais accrocher encore des km au compteur, m’attendrir sur les chemins dans la nuit.

 

Demain au col Ferret, face aux Grandes Jorasses, Monte Bianco et tout le fief des alpinistes, nous attendons tous Moreno (notre « champion « qui s’est fait dans la matinée le Malatra) ensuite à 5 et tous nos accompagnateurs, nous mêlerons nos pas jusqu’au refuge Bertone qui surplombe Courmayeur.  Je suis assez émue en ce lieu car j’ai une pensée pour ma grand mère (92 ans), ma mère passée par là lors d’un périple randonnée : la boucle est presque bouclée, me dis-je « les chiens ne font pas des chats non plus » !! 

 

La descente est là, l’un de nos coéquipiers nous attends un peu plus bas pour fouler les derniers km qui nous font entrer dans Courmayeur. Dès cet instant c’est l’euphorie, la consécration à chaque pas, les 66 km pour moi et les 3000 D+ ne sont que des broutilles quand on croise les regards de ce qui nous attendent, dont cet Anglais arrivé depuis un bon moment mais qui attendait le franchissement de mon Arrivée. Mon ombre Marie savoure ce qui pourrait être une réussite : 66 h.

Le Graal est-il atteint ?

 

En tout cas c’est sûr !!! Le rendez-vous est déjà pris pour l’an prochain…



Pour Endorphinmag

Fabienne Savapelosse - Octobre 2018.


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