Fat Viking Race



Je ne saurais dire pourquoi j'ai été attiré par ce type de course, sans doute nourri par les images de ces cyclistes franchissant le Rainy Pass, poussant leur vélo comme des damnés, face au blizzard sur la célèbre course Iditarod Trail Invitational. L'envie de vivre de nouvelles aventures, de nouveaux défis, et rechercher l'adversité, avec pourquoi pas, me frotter à une grande crainte: le froid !


Curieux de vivre une autre expérience de raider cycliste, j'ai tout d'abord découvert le fat bike grâce à la Traversée du Lac St Jean au Québec, où j'ai fait mes premières armes sur ce drôle de vélo. J'y suis retourné trois fois tellement l'ambiance est bonne et c'est en partie grâce à Specialized Canada que j'ai pu monter un vélo de compétition pour tendre vers le graal, celui de participer un jour prochain, à l'ITI (Iditarod Trail Invitational).

 

Mais pour courir l'ITI, rien n'est simple, il faut montrer patte blanche, laisser son empreinte sur des courses qualificatives, garantes d'une préparation minimale à ce type d'épreuve extrême.
La première étape était donc ma participation à la Fat Viking Race à Geilo, en Norvège. latitude 60° nord. La course compte 150 km sur neige, quelques 3200 m de D+ et l'organisatrice, Nina Gässler, finisher de l'ITI, annonce une durée estimée moyenne de 24 heures de course.
Aïe !! Oui, quand même, ça ne fait pas une grosse moyenne (lol).

 

La préparation fut longue, les coureurs expérimentés sur ce type d'épreuve ne sont pas légion et il faut faire ses choix judicieusement, de plus, le budget reste conséquent pour le matériel spécialisé et il ne faut pas se lancer sur de mauvais investissements au risque de grosse déconvenue, ou pire encore, de se mettre en danger.
Je me suis donc appuyé sur ma maigre expérience de courses et randonnées canadiennes, sur des amis du réseau au Canada et sur des échanges nombreux avec Matthieu Leroux, rider français vivant à Geilo, me transmettant ses sensations et les conseils de la très expérimentée Nina.
Puis l'heure fut venue et me voilà sur la ligne de départ de la Fat Viking Race.

 

Les vélos et le matériel obligatoire ont été vérifiés, puis le briefing fut terminé par ces quelques mots de Nina: «  Vous allez trouver cela dur, voire très dur, mais souvenez vous, que cette course est qualificative pour l'ITI ».
Une petite cinquantaine de coureurs, de 12 nationalités (3 français) se rejoignent sous la banderole. Les participants aux 150 et 100 km sont mêlés, la température est disons... clémente avec un petit -15°C mais le vent sur les hauteurs donnait un « wind chill » (température ressentie EU) d'environ - 25°C, et peu d'entre nous devinions ce qui nous attendait.

 

Fat Viking Race

 

Au bout de 50 m, nous voilà dans une trace étroite, dans la neige, en file indienne. Il sera possible de doubler et se placer, quelques minutes plus tard, lorsque le dénivelé va s'accentuer. Déjà, nous devons pousser le vélo dans les premiers toboggans de neige avant de rejoindre une piste qui permette de rouler. Les vélos sont chargés, lourds, et il faut savoir en garder sous la pédale pour ce long périple.
Arrivé sur le plateau, le jour n'est pas encore levé, la trace est d'une largeur de pneu de 4.8, difficile à déceler par manque de contraste. La progression est difficile et sur les premiers kilomètres, je chute plusieurs fois et déjà, je pousse et ré-enfourche mon vélo un grand nombre de fois.
Le jour se lève timidement, dévoilant ce paysage hivernal où la trace des quelques vélos balafre la neige, une trace de plus en plus visible, le contraste s'améliorant. Vient ensuite la première grosse descente où la prudence est de mise, puis une traversée de lac et une piste « roulante » et très longue, qui nous mènera jusqu'à Dagali, premier CP de la course.

 

Accueilli par des bénévoles, je peux me restaurer avec un bon porridge chaud et du café avant de reprendre la route, sous la neige. L'apport calorique du check point est réconfortant, j'ai dû faire 2 petites « hypo » sur les 50 premiers kilomètres, la dépense est assez importante !
Le départ de la seconde branche est assez roulant, sur les berges d'un immense lac, je me doute que cela ne vas pas durer.

En effet, la piste se transforme en single et la déclivité augmente sérieusement, ne laissant d'autre alternative que de pousser, encore, le vélo. Au fur et à mesure de l'ascension, le vent forcit et devient vraiment mordant. Les vêtements, mouillés par la neige, le grésil et la transpiration se figent et mes manches gèlent et craquent lorsque je plie les bras. Cagoule et vêtements sont fermés pour protéger mon corps de l'agression du froid, dans cette longue et pénible ascension, où même lorsque la crête sera atteinte, il sera difficile de rouler, tant la neige tombe, efface les traces précédentes et « croûte » le parcours. Un petit singletrack à peine visible, en descente, permettra de rouler un peu, avant de se résigner à pousser, encore, sur une piste vierge de trace, pendant d'interminables kilomètres.

 

 

Et si j'ai beaucoup de bonheur à rejoindre une piste de type DFCI où il est possible, enfin, de rouler, je sais que cela ne va pas durer. Les montées se poursuivent, s'enchaînent, sur de grands plateaux, blancs, juste blancs, où il n'existe pas un arbre ni un caillou pour s'abriter, où je ne vois que le grésil passer dans le vent, à l'horizontale dans le faisceau de la lampe torche. Mes yeux douloureux, glacés, passent incessamment de l'avant du vélo pour tâcher de déceler une trace, à l'écran du GPS, qui permet de ne pas se décaler, sous peine de s'enfoncer jusqu'aux genoux. D'ailleurs, j'ai dû me résigner à enfiler mes guêtres pour quelques passages difficiles, où progresser sans raquettes avec un vélo qui n'est pas plus décidé à avancer qu'une mule entêtée était vraiment exténuant.
Le deuxième tiers de la seconde boucle était vraiment épique. C'est là que pour la première fois, je me suis dis « Si tu t'arrêtes là, au milieu de nulle part, tu es un homme mort ».

Je cale dans ma bouche des morceaux de barres énergétiques pour les faire dégeler, j'active la résistance intégrée dans mon tuyau de poche à eau pour pouvoir boire, j'intègre aussi combien il est difficile et périlleux de « pisser un coup » dans la tourmente, bref, je commence à prendre la mesure de cette course et de ces conditions dantesques.

Même si j'ai eu le « privilège » de rouler dans le blizzard, dans des conditions de jour blanc et très fort vent au Canada, là, rien n'est comparable, pas de marquage, pas de motoneige de sécurité, pas de lueurs signe de vie ou de refuge, je suis tout seul et ne peux compter, sur l'instant, que sur moi même. Ne pas douter, avancer, parfois à 500 m/h, un pied devant l'autre, en plantant la pointe des bottes à chaque pas pour assurer dans les ascensions.

Revoilà Dagali, le CP 1 qui devient CP 2, le « CPorridge », je vais me refaire une santé !!
Derrière moi, arrivent Bas Wit puis Tobias, deux néerlandais qui sont éreintés et s'accorderont une pause un peu plus longue.
Mais je sais par expérience que d'allonger la pause ne rends les choses que plus difficiles. Je me motive donc rapidement, à enfiler à nouveau ma veste et ma cagoule trempées et d'affronter la suite, après avoir sélectionné la dernière trace sur le GPS.

 

Après 10 minutes de « tourne en rond », je décèle la trace du départ qui escalade droit dans le pentu. Autant vous dire que la séance de poussette a été très longue. Là haut, le roulage alterne avec la marche, même si j'avoue ne pas avoir assez de lucidité pour me rappeler précisément le parcours. Là encore, je suis descendu et ai enfourché mon vélo un nombre incalculable de fois, essayant toujours de « redémarrer » sur le vélo.
Puis arrive des lumières, signes de vie, d'un village.

J'ai fait l'erreur de ne pas déclencher mon GPS sur la deuxième branche, je ne l'ai fait qu'au pied de la grosse ascension, donc je n'ai pas d'estimation précise de la distance me séparant de l'arrivée. Je fais un calcul « savant » avec le peu de neurones non congelées qui me restaient à disposition pour une estimée de 18 km restants, soit au minimum 3 heures d'efforts !
Des quelques maisons au bord de route, part une trace qui monte, mais alors monte !! Je me ressaisi et grimpe calmement, puis vient la première hypoglycémie. Là, je commence à faire le point sur ce qu'il me restait à manger, puis le doute m'envahit, j'espère que je n'ai pas fais une trop mauvaise estimation ! Je finis le café dans le thermos, décongèle sous mon palais une barre énergétique et je reprends l'ascension. rapidement, ça va mieux mais tout aussi vite, je cale, je suis au bord de l'épuisement, courbé sur mon vélo, je pousse, avec l'impression de monter un tapis roulant à contre-sens. Mes doigts douloureux de froid, me font mal à nouveau et le vent lui, saisissant ce moment de doute, se remet à m'embrouiller !
Mon cerveau passe en mode « focus arrivée », je parle tout seul, m'encourage, pour ne rien lâcher, pour aller décrocher ce ticket pour l'Iditarod. « Mais qu'est ce que tu croyais Patrick, que tu venais faire une balade de santé, une promenade à vétété ?? »

Puis la pente s'inverse, devient roulante, je me sens mieux et puis je crois apercevoir les pistes de ski de la station de Geilo.
Alleluia ! Akuna Matata ! Kowabunga !! Mais c'est bien ça ! Plus que quelques kilomètres avant d'atteindre le Valhalla. Grisé par la descente, je me force plusieurs fois à ralentir, à être raisonnable. J'ai froid, mes dents se mettent à claquer et mes larmes de joie à geler.
Mais fini de pousser, juste rouler, juste pédaler encore quelques kilomètres pour rejoindre l'arrivée, dans le hall de l'hôtel Vestlia Resort , après plus de 21 heures de course, soit une moyenne de 7 km/h (le vainqueur fera une « grosse » moyenne de 10 km/h).
La bonne surprise est que je termine à la 4ème place, soit 3ème homme. La phénoménale Nina finissant seconde au général et première fille.
Mais le plus important reste d'avoir vaincu l'épreuve, d'avoir décroché le titre convoité de Viking et surtout, le ticket pour l'Iditarod !
Un peu plus tard, arrivera Matthieu Leroux, second français qui a eu le courage et la ténacité de boucler la Fat Viking malgré quelques petits soucis mécaniques qui peuvent très vite devenir insurmontables avec une météo pareille !

 


Au final, nous serons 12 finishers et cette course de 150 km qui comptera 21 abandons, souvent aux CP, ne trouvant pas la force physique ou mentale de continuer l'aventure.
Comme chacun le sait, les plus grosses galères demeurent des souvenirs impérissables, et si il me faudra un certain temps pour retrouver l'envie, récupérer psychologiquement et retrouver rapidement, pour commencer, la sensibilité sur tous mes doigts (lol) avant de m'aligner à nouveau sur ce type d'épreuve.
Le prochain défi doublera la distance et se passera plus au nord, non pas sur le 60 ème parallèle mais sur le 66 ème de latitude Nord, alors à bientôt ! Stay tuned !

https://events.racetracker.no/2019/fatviking/?fbclid=IwAR1SCYczafNGhgFWPwoZ77WYYaujMnl1rabp5vrFJ7tM2MPR5bOdsRZI6o0
 

Remerciements: Nina Gässler, Matthieu Leroux et Florence, à tous mes supporters et à tous mes partenaires: Fabrice (Ultimate Cycle Distribution) pour la marque 45NRTH (pneus, chaussures, produits mérinos...), Vaude France, Owayo, Urge Bike Products, Lupine Lights, withspirit.fr pour 45NRTH, Kuroshiro et Acepac.

Photos: Brendan Hills (AUS), Moses lovstad (NLD), Patrick Lamarre.



Endorphinmag

Patrick Lamarre, Février 2019.


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