French Divide 2019 compte-rendu.
Bray-Dunes, dimanche matin, je me hisse hors du hamac où je ne dors plus vraiment depuis une bonne heure, réveillé par le froid, frissonnant dans mon duvet trop estival. Mais l'excitation du moment balaie mes frissons. Autour de moi, plusieurs campeurs s'activent à la lueur des frontales. Nous avons rendez-vous avec un évènement assez particulier, la FRENCH DIVIDE.
Peut-être que certains d'entre vous ont déjà entendu parler de ce défi, qui consiste à traverser la France à vélo et en totale autonomie, de Bray Dunes, depuis la dernière plage au nord, jouxtant la frontière Belge, jusqu'à Mendionde, charmant petit village basque. Au menu, 2264 km et 37 000 m de D+ à réaliser en moins de 15 jours. La trace privilégie les pistes et sentiers, avec 30 % de bitume, mais il s'agit bien d'une épreuve de type VTT.
Nous entrons là dans le mode de l'ultra, des épreuves difficiles et redoutées. En effet, sur le millésime 2018, seuls 30 % des inscrits franchirent la ligne d'arrivée à Mendionde.
Les courses d'ultra distance nécessitent une bonne préparation sous peine de déconvenue. Celle-ci, particulièrement, demande d'effectuer de longues sorties à VTT, de longues heures de selle, et surtout de longues heures de réflexion, de recherche, de dialogue et de préparation matérielle. En effet, outre la préparation physique, commune à toutes les épreuves d'ultra, ce type de très longue durée demande une préparation matérielle réfléchie et il est possible de glaner des informations sur les nombreux récits de vétérans, ainsi que sur les pages Fb dédiées. Il est ensuite agréable de retrouver sur la trace, des riders avec lesquels nous avons échangé sur les réseaux, avec lesquels nous avons déjà numériquement sympathisé et que nous avons déjà l'impression de connaître.
La première décision à prendre est le type de vélo avec lequel nous décidons de tenter la traversée. J'ai opté pour le montage d'un vélo de type « monster cross », sur la base d'un Salsa Cutthroat custom, préparé par withspirit. Mais nous parlerons vélo et bagages un peu plus tard.
Nous voilà sur la ligne de départ, des novices aux vétérans, je pense que nous sommes tous un peu stressés, de partir sur une distance aussi longue, difficile, où l'organisateur, Samuel Becuwe, a la réputation de ne pas être avare de « surprises ». A titre personnel, j'espère beaucoup de cette épreuve, pour apprendre encore beaucoup sur une pratique particulière du vélo, pour faire des rencontres fortes et enrichissantes, et surtout, pour découvrir sur le balcon de mon guidon, notre beau pays que nous ne connaissons sans doute pas assez.
Enfin, le départ, dans Bray-Dunes, relativement calme un dimanche matin. Une première horde de coureurs est partie la veille. L'organisateur scinde les départs en 2 groupes pour faciliter le travail des bénévoles sur les CP. Le groupe de 23 « dimanchers » part sur un bon rythme, les premiers 80 km comptent peu de dénivelés.
La première journée se passe bien, je parcours 277 km pour 1740 m de D+ sur une région que je découvre, avec des longues pistes en bord de canaux, quelques incursions en Belgique ainsi que les pavées du Nord et la célèbre Tranchée d'Arremberg. Il faut vraiment profiter du profil roulant des premiers jours pour se préserver un petit capital kilomètres en vue de journées plus difficiles.
Déjà, il faut prendre les bonnes habitudes, s'assurer d'avoir de l'eau et faire les arrêts épiceries et boulangeries pour s'assurer une alimentation suffisante, au regard du nombre de calories brûlées.
Puis la première difficulté, les Ardennes, sont franchies, avec de superbes sentiers en forêt, puis s'annoncent le Morvan, le Massif Central, qui sont d'autant de bosses à négocier. On les approche craintivement, ont les franchi, pour finalement s'apercevoir que le pire est à venir.
Je garderai un souvenir ému des villages détruits, traversés dans les forêts de Verdun. Témoignages de l'horreur et de la bêtise humaine, nous traversons ces lieux en silence. Le poids de l'histoire est saisissant, nul ne trouve les mots, certains coureurs m'avoueront avoir eu les yeux humides en traversant ces villages fantômes, où seules des bornes marquent les emplacements des habitations jadis debout où trônent désormais des photos grandeur nature des familles et Poilus.
Photo : Stéphanie Didier.
Les nuits restent froides et humides, j'alterne les nuits sous abris de fortune et gîtes, en fonction de l' « offre » du moment. Il n'est pas nécessaire de rouler la nuit, sauf peut-être pour atteindre un objectif ou un lieu plus propice. J'ai décidé de vivre cette aventure en pleine conscience, un peu lassé des grands raids où le manque de sommeil répété gâche un peu le plaisir des yeux. Et cette épreuve n'étant pas une course, pourquoi s'imposer trop peu de sommeil ? Le but étant d'apprendre, profiter et franchir la ligne dans les temps pour valider le brevet, peut être le temps de tenter une performance viendra plus tard, lorsque je me saurais d'abord capable de conclure cette aventure.
Oui, il s'agit bien d'une aventure qui devrait tenter à l'avenir, quelques raiders curieux de vivre une épreuve de ce type, qui correspond bien au profil du raider aventurier. Dans la gestion de l'effort, la durée, la ténacité mentale, et surtout la préparation, nombreux sont les points communs.
Sur l'intégralité de la trace, seulement 3 CP (Contrôle de Passage ou Check Point) jalonnent le parcours. Cela semble peu mais chaque arrivée sur un CP est une petite victoire. C'est sur ces points de contact que nous sommes informés du déroulement de l'épreuve, des déconvenues, anecdotes et abandons. Ce sont également des points où l'on prend le temps de se restaurer « à table » avec d'autres riders, bénévoles ou parfois, avec des voyageurs à vélo ou autres sportifs curieux de ces drôles de cyclistes qui créent une animation particulière à la terrasse d'un café.
Les grosses étapes arrivent après avoir traversé la Champagne puis la Bourgogne, où j'ai la chance, à Irancy, superbe petit village, d'être invité à dormir chez l'habitant puis me retrouver à la buvette du comité des fêtes, à déguster le vin rouge Irancy. Un merveilleux souvenir de convivialité avec habitants et vignerons qui m'ont permis de belles découvertes gustatives.
Puis viendra le Morvan, tant redouté. Ce relief sauvage peut s'avérer très difficile à négocier par mauvaise météo. Pris dans les pistes boueuses, les moyennes peuvent chuter lourdement mais heureusement, nous bénéficieront d'un temps clément. Je passerai, comme souhaité, le massif d'une seule traite, arrivant tard, vers minuit, à Autun où je dormirai sur un bout de pelouse, entre 2 crottes de chiens, sur les hauteurs de la ville. Les températures étaient en effet beaucoup plus clémentes que sur les reliefs et rouler un peu de nuit pour atteindre les portes du Morvan était un bon calcul.
Il faut, de bon matin, attaquer la trace de nuit pour viser l'Allier, traverser les plaines et se retrouver enfin, au pied du Massif Central. Le relief ne fait pas de cadeau, certaines traces sont très techniques et demandent de descendre du vélo. Si certains sentiers se négocient à VTT, passer avec un vélo lourd, chargé, est une autre histoire. La géométrie, le poids du vélo et la longueur de l'épreuve invitent à la prudence. Le défi n'est pas technique, seule l'arrivée dans les temps compte, et pour cela, il faut éviter à tout prix la casse mécanique et la blessure.
Les paysages changent encore, s'élèvent et régalent les yeux, à en oublier la fatigue. Des sommets, on devine l'après Massif, où les déclivités s'assagissent, puis la descente vers La Bourboule, d'où il restera malgré tout encore de bons cumuls de dénivelés positifs dans le Cantal puis la Dordogne.
La rivière Dordogne justement, sera traversée à 3 reprises et j'apprécie le passage à Argentat au petit matin, où je dégusterai les meilleurs pains aux raisins de toute la traversée. De beaux souvenirs de la Dordogne Intégrale ressurgissent et j'ai une pensée pour les copains raiders qui ont bataillé, la veille, sur The RACE (Raid Aventure Corrèze Expérience).
La dernière traversée du fleuve permet d'entrer dans le Lot, par le sublime village de Carennac. Mentalement, j'ai beaucoup de plaisir à atteindre le Lot, je suis presque à la maison, les sentiers, chemins, la végétation, les habitations en pierres sèches me sont familiers. De plus, c'est à partir de là que je vais prendre un réel plaisir en pilotage, sur les monotraces, chemins de buis et « rolling stones » lotois. C'est aussi là que je vais connaître, le lendemain du passage de la Dordogne, les pires conditions météo de la French Divide avec une pluie soutenue de 5H30 du matin à 13H00, de Vers (46) à St Antonin Noble-Val (82) dans la Vallée de l'Aveyron.
La journée a été longue, avec beaucoup de monotraces techniques, des chemins rendus glissants, des traces qui tabassent, des pentes raides, beaucoup de poussages, mais tellement sauvages, tellement sympa en terme de pilotage que la journée fut un réel bonheur, jusqu'au CP 3, à Puycelci (82) où le bonheur fut total à l'oblitération du passeport au dernier CP, qui donnait de surcroît l'occasion de se restaurer dans un restaurant proposant des produits locaux, «included binouze».
Je marque un arrêt assez long, puis décide de poursuivre et rouler un peu avant la nuit. La trace en forêt n'est pas très précise et j'erre un peu sur les sentiers serpentant dans les arbres, où la nuit arrive encore plus tôt et je m'extirpe tant bien que mal d'un bourbier collant pour rejoindre Salvagnac, où le seul petit hôtel, qui accueille déjà 2 Dividers, me permet de passer une nuit réparatrice.
Au petit matin, je mets quelques minutes à trouver la trace d'un chemin qui longe un trottoir et passe sous un porche, avant de poursuivre en forte déclivité et plonger dans la froide brume qui habite les fonds de vallons. La matinée se résumera à cela, rouler sur des chemins qui paraissent roulants mais dont la nature herbeuse ou molle bouffe beaucoup de watts, et des vallons froids, où la température chute brutalement dès que nous passons dans la brume, qui se dissipe au fil des heures.
Collines, enfin un café à Villemur-sur-Tarn, traverser le Tarn, puis la grande forêt de Bouconne qui nous conduit dans le Gers et la nuit qui arrive, avant d'avoir pu rejoindre Marciac, avec quelques caprices du GPS, qui m'impose de passer la nuit au village de Barran, dans un refuge de pèlerins, avec 2 autres Dividers.
Pas de répit le lendemain, je vise Marciac où je prends le temps de faire un bon petit dèj' en retrouvant plusieurs coureurs sur la terrasse d'un café. Puis nous reprenons la route, je me retrouve seul après quelques kilomètres sur le Cami de la Peyruca, chemin interminable en forêt avec de beaux sentiers et belles ascensions. Je guette, sitôt que j'arrive sur un sommet un peu découvert, afin de tenter de voir les Pyrénées qui devraient se rapprocher. Midi arrive, je suis toujours dans la forêt, puis 14:00, 15:00, enfin, un village mais aucun commerce n'est ouvert, et il en va de même sur les deux suivants. Tous les commerces sont de fermeture annuelle, c'est navrant et même énervant car j'ai vraiment très faim !
Il faudra attendre d'arriver à Lourdes pour pouvoir enfin manger un bout, avant de reprendre la trace, au bord du Gave et y reconnaître des tronçons, fait en raft avec les copains, pour notamment, préparer un Raid In France. Du Raid In France à la French Divide dont la fin approche, passant du Béarn au Pays basque, via St Jean Pied de Port.
L'arrivée, le but, le défi réussit est en approche. Ayant pu dormir au moins 5 à 6 heures les dernières nuits, je décide de tenter d'aller au bout en mode non-stop. Je me régale sur certains tronçons techniques, de nuit, regrettant de ne pas vivre ces beaux chemins de jour. Sur un monotrace difficile, longeant un torrent, deux arbres écroulés bouchent le sentier. Des traces de pneus partent dans le champ en contrebas mais après vérification, ne mène nulle part. Il faut donc laisser le vélo et partir en reconnaissance à la frontale puis récupérer le vélo, en repassant dans les nombreux orties et ronces basques. Rob Adams, un américain que je rejoindrai à l'aube, me racontera que, lui aussi, était parti en reconnaissance à pied avec sa frontale sur ce tronçon mais avait perdu son vélo au retour, le faisant un peu paniquer durant quelques minutes...
Les derniers kilomètres sont longs, très longs, et le dénivelé ne fait pas de cadeau. Vers 4 heures du matin, je somnole et je dois m'arrêter, je roule en dormant. Ce serait vraiment dommage de chuter si près de l'arrivée. Je stoppe, pose le vélo contre un arbre, je me glisse sous un buisson et me mets en boule, tel quel, je m'endort, puis je suis réveillé par le froid. J'ai dormi 15 minutes, suffisamment pour ne plus piquer du nez sur le vélo.
Encore un ou deux arrêts pour me désaltérer et manger un bout, encore un ou 2 raidillons à pousser le vélo, puis j'aperçois des bénévoles, des « tee-shirts bleus » ! Voilà un bon signe, et les encouragements vocaux qui émanent des tee-shirts bleus me redonnent un surplus d'énergie pour filer, plein badin, vers la ligne d'arrivée.
Photo : Stéphanie Didier.
L'arrivée à Mendionde assez confidentiel, en comité restreint, mais la joie est proportionnellement inverse. Mon épouse, quelques bénévoles et coureurs déjà arrivés sont là pour m 'accueillir chaleureusement. Arrivée intime mais d'un sentiment sans égal. La French Divide est vaincue et l'aventure fut aussi belle que je l'espérais.
Impressions, échanges, accolades et une bonne bière fraîche clôturent cette aventure riche en kilomètres, émotions et rencontres.
Ces deux semaines furent longues, il a fallu gérer les efforts, les baisses de moral, les petits soucis du corps, heureusement pas de soucis mécaniques, mais souvent, des ondes positives arrivent, et j'ai vraiment apprécié les encouragements via les réseaux sociaux, puis il y a les amis raiders, et même amis facebook qui sont venus à ma rencontre sur la trace, me témoigner leur amitié et leur soutien. C'était vraiment de bons moments ! Merci à tous, ainsi qu'à mes partenaires sportifs: Vaude France, withspirit.fr (Salsa), Ultimate Cycle Distribution.
A suivre, un article technique sur le matériel utilisé, les retours matos, les petites corrections de « si c'était à refaire », les améliorations et les modifications prévues sur le prochain défi.
Pour finir, je dirais tout simplement : « Osez la French Divide » ;-)
http://www.frenchdivide.com/
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Endorphinmag Septembre 2019
Patrick Lamarre