5.1 « ILS FONT LE TRAIL »
EPISODE#5-1 : LE PILOTE D'HELICO – Yannick Herman
Ange gardien, enquêteur des airs, flying-ambulance, sauveur tout-court. Réanimateur miracle, tombé du ciel, artiste du posé : sans son aide, adieu mon trail et mon outdoor dominical. Bonjour hypothermie, bienvenue tragédie et solitude éternelle – sur cime. Dans son aéronef, Yannick Herman fait partie de la Guilde des Messies Potentiels : les Secours en montagne. Maitre des rotors au sang-froid obligé, il emmène l’équipe qui vous viendra cueillir. Sans lui, le Peloton serait une paire de jumelles une et cordée. Entre ses différentes missions de sécurité publique et d'aide à la population, quand rien ne va plus, il embarque une équipe de bienfaiteurs. Le temps d’un vol, il dessine au ciel ce que le PGHM réalise tous les jours : aider. Ego au placard, c’est donc un équipier qui observe nos passions montagnardes et leur part de risque ; pour un « merci » ou pour rien.
Entre stationnaire et translatif, Yannick Herman se pose pour une rencontre vocation. Le calembour était facile. L’entretien, pédago.
Julien Gilleron : Comment et pourquoi décide-t-on un jour d’être pilote d’hélicoptère ?
Yannick Herman : honnêtement, rien n’a jamais été extrêmement prévu ni calculé. Dès l’âge de 15 ans, attiré par tout ce qui vole, j’ai commencé à pratiquer le vol à voile. Toute la communauté des gens qui pratiquent l’aéronautique semble d’accord pour dire que le planeur est la meilleure école pour débuter, et créer de bonnes bases. Pour moi, c’était simplement le moyen le plus économique de voler. Et en effet, une super école. Ensuite, j’ai poursuivi mes études scientifiques mais sans chercher à m’orienter en « aéro » : je pensais vraiment que le métier de pilote était inaccessible. Je voulais juste continuer à voler en loisirs.
Le vrai virage, c’est 1997, lors de mon service militaire dans la gendarmerie : là, je découvre que dans cette arme il y a…des hélicos ! et surtout, j’ai la chance de rencontrer et de sympathiser avec des équipages (pilotes et mécanos). Je me suis rapidement identifié à certains d’entre eux, qui possédaient le même cursus que moi. Et je me suis décomplexé, j’ai compris que je pouvais accéder à ce métier. Je me suis alors focalisé sur cet objectif, et j’ai réussi à ouvrir, une à une, les portes qui mènent à ce fabuleux métier.
JG : Quand se situe ton virage vers le vol en montagne, et pour quelles motivations ?
YH : Je pratiquais la montagne depuis toujours, à travers le VTT, le trail et la randonnée…et j’avoue que j’ai toujours été très rêveur devant les photos de vol en montagne. En 2005, mon brevet de pilote hélico en poche, je suis affecté à DIJON : je fais tout de suite savoir que je souhaite m’orienter vers la montagne. Après quelques années d’expérience, j’ai pu débuter une formation très sélective de pilote montagne (dispensée en interne à la gendarmerie). Le Graal, j’arrive enfin à le décrocher en 2009 : je peux enfin débuter les missions en montagne au Détachement Aérien Gendarmerie de Modane. J’y resterai 6 ans, avant qu’une nouvelle chance m’arrive : on m’affecte pendant 4 années sur l’Ile de La Réunion, où l’activité est importante. La bas, on est le seul aéronef d'état ! On est donc un maillon essentiel au service de la population, dans toutes les missions de services publiques – le secours en montagne en fait partie. La « Run », ça reste un sacré morceau dans mon cœur – mais comme tous ceux qui y passent, je constate. L’Île « intense »…porte bien son nom. Et oui : l’outdoor est aussi actif qu’engagé là-bas. Puis c’est le retour, et depuis aout 2019 je suis basé à la Section Aérienne Gendarmerie de Chamonix. En quelque sorte, Cham’ est l’aboutissement de ce métier en raison de l’intensité des interventions, et de la haute technicité qu'exige le massif du Mont Blanc.
JG : s’il fallait résumer l’organisation des secours : Le PGHM ce sont les secouristes. Toi et les pilotes, c’est le véhicule. Correct ?
YH : Exactement. Mais hormis les puristes, peu de monde fait la différence entre le PGHM et la SAG (NDLR : Section Aérienne Gendarmerie). Pour faire court, les personnels du PGHM (Peloton Gendarmerie Haute Montagne) sont les vrais montagnards. Ils sont à la fois Guides de haute montagne, secouristes et officiers de Police Judiciaire. Ce sont eux qui ont la responsabilité du secours ; et attention, également de l'enquête qui en découle. Pour cela, ils choisissent les moyens dont ils estiment avoir besoin. Et effectivement, dans la majorité des cas, ils font appel à l’hélico de la SAG – à laquelle j’appartiens – pour les transporter sur les lieux et participer aux constatations. Mais du coup, nous pilotes, sommes plongés dans le même bain « action-adrénaline-responsabilité » d’un secours ; à une échelle toute autre bien sûr. L’anxiogène ou la pression, je vais la gérer sur mon pilotage, l’approche, le posé, bref la façon optimale dont je me mets à dispo pour le PGHM.
JG : Les trails sont censés mettre en place leurs propres équipes de secours. Mais concrètement, vous intervenez quand le PGHM est sollicité. Autrement dit, quand le milieu ou les faits l’imposent (inaccessibilité, disparition, enquête judiciaire…) ?
YH : Tout à fait. Oui, les organisateurs qui sont des organismes privés, doivent mettre en place leur propres secours. Pour cela, ils font appel à des sociétés privées, spécialisées dans la médicalisation d’évènements sportifs. Ainsi, ils sont en mesure d’intervenir très rapidement et de rapatrier les éventuels blessés légers vers des secteurs accessibles par route. Mais dans le cas de disparition, d’inaccessibilité, si le cas est grave ou qu'une enquête s'impose, les moyens d’État doivent être activés. Dans ce cas…nous intervenons.
JG : Sur quels évènements et à quelle intensité intervenez-vous ? En dehors des compétitions, vous déplacez-vous pour le trailer du dimanche – et parfois des bobos évitables… ?
YH : Dans les Alpes, la saison trail s’étale de mars à novembre. C’est principalement durant les beaux jours que les interventions sont les plus nombreuses. C’est difficile de donner un chiffre, j’ai peu de vision globale sur l’ensemble du massif. Cependant, sur 2019, j’estime à une trentaine le nombre d’interventions en rapport avec le trail, réalisées par la SAG de Chamonix. Bien sûr, nous intervenons aussi hors compétition pour récupérer des trailers blessés à l’entrainement. C’est même plus fréquent qu’en course ! Car cette fois-ci, aucun autre organisme que nous ne peut aller les chercher.
Texte Julien Gilleron
Crédit photos Yannick Herman