11. « ILS FONT LE TRAIL »
EPISODE#11 : L’HORLOGE-BOUSSOLE – Mickael Blanchard
Métronome, podiumiste, horloge parlante, fiches à speaker. Mais aussi Mayday, GPS, géoloc et balise. D’où ce sujet de bac : le temps en trail, est-ce de l’argent, du plaisir, ou de la douleur ? Parlons Gros Horloge et Tic-tac, car c’est lui qui dit que et qui dira toujours. Place au Chrono. Pour ce volet #.......de nos portraits sincères, nous donnons la parole au minuteur de nos passions, mais pas n’importe lequel. Et non, désolé car nous ne questionnerons pas les mastodontes des Alpes. Mais notre homme est nettement plus intéressant qu’un algorithme triangulé, car au carrefour du temps et de la sécurité – rien que ça.
Mickael Blanchard connait tout de nos trails. De la course au jambon aux cadors ITRA, ses petites mains se déclinent en signaux, traitent chiffres et temps réels. Si maman sait où vous êtes (appréciable ?) à courir pendant qu’elle gère tout le reste, vos contre-perfs passent bien loin quand Mickael pense Sécurité. Interface entre le secours et le timing, notre homme illustre parfaitement l’esprit de cette série : engagement, rôle, d’un Arclusaz à un Christophe Le Saux perdu en plein Atlas…
Julien Gilleron : Mickael, tu réunis des postes cruciaux pour une course. Timing, sécurité, et même communication. La « Vérité » multitâches ! Éclaircis-nous : ton rôle avec DotVision ?
Mickael Blanchard : alors…d’abord, quand un organisateur nous appelle, il pense à la sécurité de son événement. A différents niveaux : savoir où est son serre-fil, monitorer en temps réel la position des coureurs, avec possibilité pour eux d’envoyer des SOS ou d’appeler le PC sécurité…Certains orga’ vont vouloir également localiser « live » les ambulances, médecins, pour savoir qui sera le plus rapide à intervenir ; un bus en cas d’évacuation, etc. Chaque staff a donc ses caractéristiques et besoins propres ! qui dépendront souvent de l’histoire de chaque course. Enfin, avec quelques courses, nous travaillons uniquement sur un aspect communication/visibilité : juste un suivi GPS pour valoriser sa course sur le web, ou un écran géant en finish line.
JG : donc, plutôt sécurité que Juge de paix du Chrono ?
MB : 100% de nos demandes sont liées à une question de sécurité. C’est vraiment la pierre angulaire. Et une fois la réflexion engagée sur ce sujet, on peut utiliser le système sur d’autres axes. Par exemple, prenons du très très gros, un UTMB : nous fournirons du matériel pour les serre files par exemple, mais l’organisateur souhaitera en plus utiliser des balises afin de suivre spécifiquement les élites ; avoir des informations sur les écarts entre deux points de chronométrie qui sont réalisés par leur Timer (NDLR : chronométreur).
JG : Du coup, on balance... Faut-il être un ingénieur pur, ou un sportif rompu aux terrains, pour ta mission ?
MB : Réponse dans mon parcours ? A l’origine je fais de la course d’orientation depuis…. Longtemps. Dans cette pratique, je me suis pas mal investi auprès de la Fédération (formations IT, élu au bureau directeur, entraineur de l’EDF U18). En parallèle, j’ai toujours aimé organiser, avec mon club de CO, on a organisé le premier trail en région Centre, ça devait être en 2003. En 20 ans, j’ai eu des missions dans l’organisation de 4 ou 5 championnats nationaux, 2 coupes du monde, un championnat du monde et un championnat d’Europe U18. Bon, accessoirement, j’ai toujours été fan de technologie appliquée sport – une partie de ma thèse STAPS était sur ce sujet…et aujourd’hui, cela me permet de vivre de ma passion « appliquée ». La belle vie !
JG : Es-tu trailer, encore organisateur ou inclus dans ce tissu associatif que tu pratiques beaucoup ?
MB : Ma passion reste la course d’orientation. Malheureusement, l’activité est chronophage et la plupart de mes entrainements aujourd’hui… se résument à aller seulement courir en montagne. Donc pas vraiment trailer ; très grosse année si j’accroche un dossard par an sur la course du quartier ! Par contre, les « off » me passionnent. Se tirer la bourre avec les copains, comme sur les Verticales du Val Gelon (club de Ski’Alp de La Rochette). Bon, je baigne par mes activités pro dans le monde du trail (70% de nos activités), donc je pratique pas mal ce petit monde. Enfin, accessoirement, j’aide à l’organisation d’un petit trail à double visée : financer la pratique de nos jeunes au sein du club, et…faire connaître nos spots d’entraînements.
JG : DotVision : d’une balise sur le sac de Christophe Le Saux quand il traverse l’Islande, à des trails au cœur du local. Polyvalence ! Comment intègres-tu le staff ?
MB : 20 ans déjà pour DotVision ! (Janvier 2020). L’entreprise a toujours œuvré dans les objets connectés, mais 20 ans en arrière, c’était réellement nouveau. J’ai rencontré Guillaume Pelletier (CEO) en 2010 (Mondiaux de Course d’orientation). Très vite…j’ai rejoint l’aventure pour lancer une branche sport : la société n’intervenait alors que dans le domaine industriel. Guillaume avait une solution de tracking GPS qu’il avait pensé après avoir tourné début 2000 sur les raids X Adventure Salomon, qu’il avait déployée pour ses copains sur le Défi Wind à partir de 2007. On a donc démarré un tracking sportif en 2011. Premiers clients ? Clients toujours : l’Andorra Ultra Trail et le Trail des Fiz ! Quelle confiance accordée depuis toutes ces années. Depuis, l’activité a cru tranquillement, avec des franchises dans le monde et pas mal d’événements internationaux (Mondiaux de SUP, UTMB,….). Nous travaillons aussi beaucoup avec les chronométreurs et les sociétés de médicalisation des courses, notamment Dokever qui utilise aussi notre système sur de multiples courses. Les chronométreurs délivrent le temps des coureurs ; notre tracking GPS leur permet de remonter leur position en continu tout au long du parcours. Il peut se passer pas mal de choses en 2 ou 3h, le GPS permet de savoir en temps réel les écarts entre les coureurs. Idem en queue de peloton…(serre-files).
JG : Vous intervenez sur du très petit à du très long, et tout terrain ?
MB : Oui ! je m’explique : pour des petits besoins (où sont mes serre-files ??), que la course dure 2h ou 72h, à priori l’attente est la même. Même sur certains ultra, nous ne déployons que peu de balises. Maintenant en effet, avec l’objectif sécurité, plus la course est engagée (montagne, sans balisage), en autonomie, plus le dispositif a du sens…et plus il est complexe. Exemle : sur un Euforia (5 jours en autonomie sur l’AUTV), chaque coureur a une balise GPS pour déclencher un SOS, mais la balise sert aussi à valider le passage à tous les checkpoints (environ 60)…et du coup, plus nécessaire de poser des bénévoles qui devraient attendre sur certains points près 50h. Pour certains événements de cette envergure, ce serait inorganisable sans une solution de tracking GPS.
JG : Quel est ta mission sur des projets « off » et souvent longs, aventureux ?
MB : Prenons Erik Clavery, par exemple. Il s’attaquera à la traversée de Pyrénées (juin 2020 ?). Sur ce genre de projet, il y a une petite partie sécurité – pouvoir déclencher un SOS – mais c’est surtout la visibilité de son challenge qui est recherchée à travers le système de tracking. Que sa communauté le suive en temps réel, anticipe son avance ou son retard…Ca va être un flux d’infos supplémentaires dans sa com’, en plus des post FB, des vidéos que feront les suiveurs, etc. On nous sollicite très souvent pour ce genre de projet de records, mais le projet d’Erik me tient personnellement à cœur, car nous croisions le fer sur les raids du grand ouest dans le début des années 2000, quand il était encore triathlète.
JG : Quels moments forts retiendrais-tu ?
MB : Aie. Toujours compliqué d’extraire des moments marquants, car en événementiel, tu es focus sur ta tâche pendant la course. La plus grosse problématique de notre job, comme celui du chrono….c’est que nous n’avons jamais le droit à l’erreur. Une fois la course démarrée, s’il y a un problème, c’est trop tard pour le résoudre. Dans une vie précédente, j’officiais en tant que chrono sur des évènements cyclistes comme le Tour de France : tu as beau lire la photofinish, puis c’est bien toi qui dis qui est le premier et le second, et 5 secondes plus tard ça passe sur toutes les chaines de TV du monde… ? et bien tu es tellement concentré sur la tâche que tu ne sais même pas dire qui est le coureur qui a gagné. Pour toi ce n’est qu’un dossard que tu as lu et saisi ! Donc, tu peux officier sur les plus beaux événements, c’est compliqué d’en profiter vraiment. En revanche, avec le temps, on crée de vrais liens avec certains organisateurs – et puis tu représentes un maillon clef de leur sécu, réussite.
Enfin, ne soyons pas chiches : ça fait voyager ! Ok, strict minimum de durée sur place. Et parfois moins de temps qu’il n’en a fallu pour voler ! Merci Hawaii…mais j’emmène toujours mes baskets pour aller crapahuter. Et là, ce n’est que cadeau pur, sur un sommet de Bora Bora ou le Haleakalā (+3000m, Maui, Hawaï). Au final ? me croiras-tu : à chaque retour maison, je me dis toujours que la plus belle montagne du monde, c’est là. Celle d’en face, que tu peux grimper chaque jour. Parole !
JG : Le pire dans cette activité, qu’est-ce que c’est pour toi ?
MB : Franchement ? rien à jeter ! Bon, en insistant vraiment…Allez, c’est surtout la partie commerciale qui me rebute, je préfère discuter avec l’organisateur de son parcours que de son devis. Ca m’arrive même de faire des évènements sans que l’on ait signé un devis en bonne et due forme, juste en s’étant mis d’accord à l’oral et on s’étant tapé dans la main.
JG : Bilan de ton importance : si cruciale que ça ?
MB : Je répondrai en 2 temps. Coté solution technique : on agit dans l’ombre pour le grand public, peu nous connaissent, mais le jour où ils ont un problème, c’est souvent grâce à nos systèmes que l’organisateur peut déterminer qui est le Doc et le plus proche pour intervenir, ou gérer plus efficacement les bus d’évacuation…Coté personnel : quand on parle sécurité avec un organisateur, il y a un réel besoin d’associer de la confiance. N’importe qui d’un peu investi dans sa tâche pourrait nous remplacer ! mais c’est clair qu’en travaillant avec des organisateurs depuis près de 10 ans, ils savent qu’ils peuvent t’appeler à 2h du matin pendant tes congés, si problème. Tu décrocheras. Et cette relation de confiance, elle met du temps à s’installer. Je dirais même qu’elle est d’autant plus forte que tu as vécu des moments chauds – très chauds, avec les organisateurs !
Texte Julien Gilleron
Crédit photo ©mickael blanchard6